Rendez-vous 21102003

-Bien, alors, je vous laisse tous les deux.

L’homme quitta la chambre, la moquette au sol, épaisse, étouffait
le bruit de ses pas. La porte se referma.

-Qu’est ce que ça veut dire ?
-C’est une forme de rituel, pour chaque nouveau venu ici.
-Vraiment ? Rassurez-moi…
-Vous avez peur ?
-Non.
-(sourire)
-Dites-moi donc, votre mari, -c’est bien votre mari ?- Il nous regarde ?
-Je ne sais pas. Approchez-vous.
-Je suis surtout ici pour mettre au point une esquisse.
-Quoi d’autre ?
-Pour découvrir un univers qui m’est inconnu.
-Curieux ?
-Assez.
-Approchez-vous.

Il se tenait jusqu’alors assis sur un siège contre le mur opposé au lit
l’alcool sans doute, l’avait amené à se poser là, en attendant la suite.
Il se leva, fit quelques pas en avant, jusqu’à se retrouver à deux mètres
de la maîtresse de maison, elle-même allongée nue sur le lit.

-Et alors. Plus près. Seriez-vous timide ?
-Je le suis, c’est une armure.
-L’alcool ne suffit pas ?
-Pas cette dose. Plus serait abuser.
-Abuser ? L’ivresse te déplait.
-L’ivresse permet de créer un travail artistique, mais pas de déceller
les lignes d’un corps.
-Tu parles trop.
-Sans doute.
-Approche-toi, et mets tes mains sur moi.
-J’ai les mains froides.
-Et alors ?
-Je n’aime pas que les corps que je touche se détachent de mon emprise
à cause de moi.
-Original.
-Je sais, c’est le drame de toute une vie.
-Tu es encore jeune. Allez viens.

S’asseyant au coin du lit, près des pieds de la belle, il passa une main
habile mais tremblante de la cheville au genou, en fixant des yeux la
trajectoire de la main.

-Plus haut.
-Une minute.
-Qu’est ce qu’il y a ?
-Je veux faire quelque chose de beau.
-Tu veux qu’on fasse l’amour ?
-Je suis pas là pour ça.
-Je te plais pas ?
-Je ne suis pas là pour ça.

La main plus voluptueuse, se fait caresse jusqu’au ventre et bientôt
étiré de tout son corps, il a le regard fixé sur la naissance de la
poitrine.

-Ton regard est incroyable.
-Sais-tu que la poitrine est la forme la plus difficile à dessiner et
à peindre ?
-Pourquoi ?
-Parcequ’elle est fascinante, on exige de soi la perfection quand on
dessine une poitrine féminine.
-(sourire)

La main arrêtée jusque là au bord du sein gauche reprend le chemin
inverse, à plus vive allure mais avec toujours autant de souplesse.

-Plus haut ça ne t’intéresse pas ?
-J’y arrive.

Se levant du lit, il vient maintenant s’agenouiller sur le sol, à côté du
lit, au niveau des seins. La même main aventureuse vient accrocher la main
de la belle.

-Romantique ?
-Néo-classique.
-… Pardon ?
-Non, je suis romantique oui. Si tu veux.
-Un défaut de jeunesse.
-Peut-être.
-Tu parles toujours autant ?
-J’essaie de trouver le trait idéal. Je parlerai quand tout sera en place.
-En place.
-Dans ma tête.
-(sourire) J’aime bien taquiner.
-J’ai remarqué ça. (sourire)

La main remonte le long du bras, jusqu’à l’épaule, effleure le cou,
se pose un instant sur le menton, espace les cheveux qui masquent en partie
le visage, et s’arrête enfin sur l’oreille. Il la regarde dans les yeux,
des yeux remplis de larmes, de larmes qui ne coulent pas. Et ce sourire.

-Ca va ?
-Et toi ? Je suis… comme il faut, je mérite que tu me dessines ?
-Je crois que tu ne comprends pas, ce n’est pas de cela dont il s’agit.
C’est un hommage à la beauté des femmes, à ta beauté, ni plus ni moins.
Ce n’est pas de ta beauté dont je doute, mais de ma capacité à en capter
toute l’intensité pour la retranscrire sur la toile. D’accord ?
-(sourire, et larme à l’oeil gauche qui coule jusqu’aux lèvres)
-On va commencer.

Il s’éloigne, reprend place sur son siège, se saisit de son carton,
d’un carnet de croquis, d’un morçeau de fusain. Chaque tracé évoque
une grimace ou un tic nerveux, parfois un petit sourire quand un trait
est abouti, chaque regard pour elle a une forte intensité. Pendant ce
temps, elle sourit, comme on sourit à son enfant plus qu’à son amant.

-Je peux encore te poser une question ?
-Même plusieurs.
-Tu es tellement jeune, comment tu es rentré dans ce milieu ? Tu n’as pas
quelque chose de plus… enfin, tu ne préfères pas faire d’autres choses
avec tes amis ?
-(sourire, ponctué de tics nerveux, sans jamais quitter son carnet de
croquis des yeux)
-On passe cette question ?
-S’il te plait, oui.

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