Gitan 25052004

« S’il te plait si tu es toute ma vie
je t’en prie ne reste pas
ne sois plus en vie ne m’aime plus
ce ne peut être que mieux
ne me dis plus jamais cela

Je parle aux feuilles chatouilleuses de balcons
à ma fenêtre elles me parlent de leurs cousines
mortes l’année dernière d’une abominable maladie
celle dont nous finirons tous par vriller
comme des feuilles roussies
je vous parle de la mort madame
je vous hurle la mort monsieur
la mort !

Tu le sais c’est bientôt la fin
tu m’as entendu cette nuit dans ton sommeil
j’étais frissonnant de terreur
elle siégeait là et je n’avais d’yeux que pour elle
toute de noir vêtue, un sein nu
comment lui résister,
je ne sais, je ne sais.

Je parle aux feuilles chatouilleuses de balcons
à ma fenêtre elles me parlent de leurs cousines
mortes l’année dernière d’une abominable maladie
celle dont nous finirons tous par vriller
comme des feuilles roussies
je vous parle de la mort madame
je vous hurle la mort monsieur
la mort !

Merci. »

Vaillant bohémien qui finissait sa chanson au coin du zinc
le café s’appelle « Vilain petit canard » il y fait bon être
maudit, il y fait bon lire les faits divers et les chiens
écrasés par des vieux défrauqués.
De l’autre côté du comptoir la duchesse Mais-Non qui n’a dit
oui qu’à son mari mort à la guerre froide un matin calme du
mois d’avril, cent ans déjà qu’il n’est plus qu’une photo-souvenir
dans un cadre en bois usé mais sincère. Pauvre bonne mère.
Ses trois fils ont quitté le radeau, ils ont eu peur de la
méduse, cheveux sales et serpents affamés, ils ont eu peur de
la mère qui use son torchon sur des verres cassés bien rangés.
Vaillant bohémien son nom est Sérieux baptisé par son père
alcoolique d’être trop bon à n’en vouloir qu’à lui même de
n’être que trop libre.
Humanité, la petite serveuse n’a pas vingt ans, elle colore ses
cheveux de sang versé il y a longtemps. Jolie pour ne pas dire
belle, elle perd son enfant chaque matin qu’elle se lève
elle perd son enfant qu’elle a fabriqué la nuit d’avant avec
le vieux Sincère, brave père de famille frivole loin d’être
économe sur la semence et le poison. Le vieux Sincère n’a
rien à perdre depuis que le poison coule en lui, il se dérobe
doucement à la vie.
Vaillant bohémien tu reprends ta chanson
et tous ensemble chantent en choeur et en rond.

Voilà qu’entre un jeune homme perdu
à en croire ses cheveux fous il ne va pas bien.
Il ouvre la bouche c’est pour respirer et s’en jeter un
il ouvre les yeux pour pleurer, voilà, il va pas bien.

« Bonjour, ou bonsoir
je ne connais plus la vie que dans le silence
mes yeux sont fermés, je ne sais plus ni le jour
ni la nuit, je ne sais plus ce qu’il en est
la vie m’ennuie j’envie la nuit, et puis
quand je me lève le matin, mon sang ne fait qu’un tour
et puis s’arrête, c’est abjecte, je ne vis pas bien. »

Vaillant bohémien ému qui fait silence, tait sa chanson
par respect pour l’ahuri décérébré, la Mais-Non qui lui répond :

« Fils, tu es revenu, comme tu me manquais, mon enfant égaré
te voilà bien pâle, tu as le sang arrêté, il te coule par le
nez, je te sers ta boisson, ton lait dont tu ne voulais plus
enfant quand tu as fui, et mon sein et ma vie.
Je sens mon coeur qui bat, tu es revenu fils, et je revis

– Je suis mort maman, au combat de la vie, il y a huit ans
quand avec mes jambes amputées s’est sauvée Maria ma femme
mon âme, elle me l’a volé avec, je lui ai donné peut être.

– Mort, ou morte, nous le sommes tous, touche mon coeur, comme
tu m’as manqué, je suis blessée, bientôt je serai nouvellement
née

– Comment suis-je ici, moi défunt, toi partie, comment suis-je
arrivé, moi qui jamais n’ai aimé que la femme de ma vie.

– Tu es ton propre poison, je pense à toi depuis ton départ
je pense sinon je pars à mon tour, j’attendais ton retour.

– Maintenu en vie par le souvenir que je t’ai laissé, déchire
donc ces images dans ta tête, que je crève en paix enfin, demain
matin, je t’offre mon dernier baiser, d’amour et d’amitié, je ne
souffrirai pas, et toi non plus, parceque je ne serai plus là.

– Si c’est ton dernier voeu fils, prends un peu de ce lait versé
de mon corps ou d’un autre bovin, je suis un peu comme toi
nous partirons ensemble, dans des ailleurs différents, je n’ai
plus que toi à présent. »

Mère-vache et fils-amputé s’enfuirent dans l’arrière salle
nul ne sait s’ils ont courageusement acté d’amour ou de passion
mais dans le bar coula alors à foison
sang, eau et sueur,
dansèrent les damnés de la terre
dansèrent les oubliés de la mort
et contèrent à la planète leur sort.

« Nous sommes morts
mais personne ne nous attend
nous resterons ici le temps qu’il faudra
et on se saoulera tant que personne viendra
merde à la vie, merde à l’amphore
si je vis aujourd’hui c’est que je suis déjà mort ! »

Quand ce sera au tour de chevelu de passer par là
il vous racontera sa dernière histoire de comptoir
et vous saluera bien bas, un sourire moqueur aux lèvres
du sang plein les yeux et les mains peintes en noir
ne lui demandez pas pourquoi surtout,
il se fâcherait de devoir y réfléchir.

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