Je n’ai pas honte d’être footballeur
j’en tire même un certain plaisir
je suis de ces défenseurs hargneux
un fanatique de Shearer
un bourru, un méchant
de ceux qui frappent les chevilles
de ceux qui jurent fort le nom de dieu
et qui insultent les adversaires avant de les tacler.
terrain-cage de grillage cerné
sur le sol la pelouse a fait place au bitume et au verre cassé
welcome to hell’s playground vous êtes ici
ailleurs que chez moi, je ne connais qu’une poignée
de ceux qui dans quelques heures repartiront
jambes, coudes et poignets sanguinolants
peut-être vainqueurs, je suis piètre défenseur
je ne sais qu’heurter les corps et les faire suer
il y a dans leurs yeux l’inquiétude, la tension
ils savent que je tiens droit sur mes jambes
qu’un coup de coude en vaut un autre
que je ne défends pas le moins du monde la morale chrétienne
qu’on frappe ma joue, et je déchaîne ma furie
oh, je ne suis pas le seul biensûr
on ne m’a pas mis défenseur pour rien,
gabarit trompeur mais présence solide
je suis dans l’équipe de ceux qui ne se laisseront pas perdre
sans graver dans les chairs adverses le match du jour.
match amical, sans enjeu, pourtant on croirait
oui on croirait que ce sont nos vies que nous jouons
le bitume noir et odorant, brûlant l’été
en a vu des fluides s’écouler sang, sueur et salive
des corps s’effondrer, gros ou osseux,
chevelus et skinheads dans un même élan pesant
et dans un bruit sourd, le craquement d’un os
le déchirement de la chair.
« est ce que ça va ?
non pas trop
c’est normal
va t-faire foutre
hahaha »
défendre son camp comme on défend sa vie
sur la trajectoire de chaque boulet de canon
les muscles rougis par les coups
hurlements à l’impact, jurons pour le coupable
et bientôt le dégagement raté, dans la tête d’un attaquant
trop aventureux, et les cris, et la tension qui monte
les jeux de regards, l’intimidation, et les frictions
les maillots puants tirés, comme attirés, relation passionnelle
des corps, loin, loin les esprits évadés
par manque d’air et de temps
dans ces moments là, il ne fait pas bon avoir des remords
après un coup mal placé, c’est la loi des plus endurants
et là, ballon brutal de cuir mort
sur ma peau brûlante et ruisselante de sueur
claquement lourd de la chair fraîche sur la peau morte
un cri qui déchire la cohue des gémissements de l’effort
un cri pour canaliser la douleur
et le visage meurtri qui ne trahit pas la douleur
qui feint l’impassibilité de la statue de square
un peu rude, un peu froide.
je vous l’avoue, vous autres qui ne comprenez pas
j’aime cette douleur, j’aime au cours des matchs
émettre les cris du bétail blessé,
gronder comme le fauve pendant la chasse
j’aime sentir à quel point je m’affaiblis avec le temps
à quel point la mort et le poison investissent mon corps
chaque jour qui passe. Les poumons qui n’en peuvent plus
les muscles grippés, les crampes qui paralysent
et la salive qui s’épaissie dans la bouche
l’écume aux lèvres
la violence mentale
la course furieuse
le but
le tacle
la tête
le dégagement
la mort un jour qui frappera plus fort
que le dernier coup de ballon
coupant le souffle enfin
et le bitume comme dernière senteur
et le sang
et la sueur
et la salive
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