Dans le miroir, je regarde le sang couler doucement depuis ma narine droite jusqu’à mon menton sur une ligne presque droite.
Mes lèvres dessechées, fermées ne sont pas un obstacle à la lente chute du liquide rouge-noir. Mon teint est pâle, je tremble
de ne pas manger assez régulièrement bien que je ne manque de rien. Je fixe mon regard ensuite, et plus précisément le reflet
de mon visage au travers de la pupille de l’oeil droit. Tout semble si lent, et calme, d’une apparente tranquilité.
Il est neuf heures du matin, mes rideaux sont encore fermés de telle sorte que la lumière n’entre pas du tout ici. Cela fait
exactement deux semaines aujourd’hui que mon studio est dans l’obscurité la plus totale. L’immeuble est pourtant bien situé.
La vue y est agréable, bercée par un bruissement d’automobiles, trois étages plus bas.
Je me regarde dans le miroir et puis je passe un peu d’eau sur mon visage pour nettoyer cette ligne sanguine qui traverse
toute la partie inférieure de mon visage et qui s’étend maintenant au cou. Je ne me rappelle pas d’un jour précis où tout
cela a commencé. Je me rappelle qu’en juillet de l’an dernier, soit il y a à peu près un an, je fréquentais régulièrement
une fille tout à fait conventionnelle mais sans taboo, m’assurant une vie sexuelle et affective saine et durable. Je me
souviens de l’avoir quitté sans heurt en lui expliquant que je ne me sentais plus vivre au sens où je l’entendais avec elle.
La tranquilité d’une vie rangée me troublait alors sous le discours appuyé de quelques amis de l’époque. Nous nous sommes
parfois revus le temps d’un verre, ou deux. Tout était simple en réalité, et rassurant. Elle ne m’en voulait pas, je crois.
Elle n’a pas tardé à trouver un autre compagnon et de mon côté j’ai repris ce semblant de vie, selon mes propres règles et
mes mauvaises habitudes : soirées interminables, histoires sans lendemain, pulsions inassouvies, fantasmes en tous genres,
gueules de bois, voyages intérieurs, cynisme.
Je me souviens que j’avais l’habitude de boire à intervalles réguliers, tous les jours, pour éviter qu’un instant de lucidité
me permette de trouver le temps de regarder un peu le chemin parcourru. Dans de pareilles circonstances, je puis affirmer
que je n’avais alors pas peur de la mort. Je me sentais vivant et supérieur à toute forme de vie humaine soumise à un régime
de vie saine dictée par les médias télévisuels. J’allais contre le bon-sens, contre le savoir-vivre, contre l’avis de tous.
Il ne m’a fallu que quelques mois pour rentrer dans des sphères que je n’imaginais que très vaguement, que je fantasmais
elles aussi. Je vendais pour de maigres fortunes mes services de peintre à des couples libertins désireux d’acquérir une
toile représentant en général la maîtresse de maison dans des positions évocatrices de leur hobby. C’est aussi à cette époque
que je me mis à écrire les premiers récits érotiques ou profondément obscènes et malsains. J’écrivais beaucoup et je plaisais.
J’avais adopté un rythme de vie presque professionnel : levé 5 heures sur un cauchemar ou le bruit des premières voitures,
exercices physiques sommaires, petite collation à base de produits laitiers, alcool, et écriture ou peinture en fonction de
mes commandes ou de mes capacités. A 5 heures, un matin de janvier, je crois, j’ai fais la rencontre d’une singulière
personne qui a copieusement boulversé la suite de mon existence, aujourd’hui encore. Cette rencontre fut assez mystérieuse,
et en réalité je ne sais pas très bien comment tout cela s’est passé. Mais ce n’est pas ce qui est important maintenant.
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