Dans un bistrot de quartier…
« -Bonsoir tout le monde.
-Bonsoir tout seul, rétorque le patron.
– ha ha ha ha
– ha ha *boit une gorgée* aaah…
– ha ha ha… ahha. Bon tu me mets une chopine ?
– Jupi ?
– Euh… Jupi.
– Et une Jupi, une !
– Alors quelles nouvelles Punch ?
– Rien de fort neuf, Solfa… et toi ?
– Hum, pareil. La routine.
– Ah ! Cécile, je t’avais pas vu, ça va ?
– Hum. ‘toi ?
– Ouais ouais, kektubois ?
– Despé.
– Kécéksa ?
– Bière, … tequila,… arômes,… alcool.
– Ah, s’indigne Punch
– Arh ha ha ha ha, poursuit Solfa.
Quelques secondes, longues comme des siècles
précèdent la prochaine réplique. Et la bière
de couler à flot dans les récipients de verre.
– Ah !
– Quoi ? gémit le patron.
– Kécé ? lache Solfa avec surprise.
– Hum ? semble dire Cécile.
– J’ai une nouvelle.
– Une bonne ? s’empresse de dire le patron.
– Nan.
– Ah. Bah ça m’intéresse pas alors.
– Iggy est mort.
– Iggy ? Euh, Chips ?
– Ouais.
– Noooon ?!
– Si.
– Ah bah merde alors.
– J’te l’fais pas dire.
– Kes’lui est arrivé ?
– Pendu.
– Naaan ?!
– Si.
– Ah bah merde alors…
– Ouais… R’mets une bière à ché musiciens là.
– Laisse Punch, c’est pour moi.
– Bon, j’prends la prochaine.
– Hum, ajoute Cécile.
Quelques minutes, longues comme des millénaires
précèdent la prochaine réplique. Et la bière
de couler à flot dans les gosiers torturés.
– Et ça fait longtemps ?
– Ce matin, on l’a retrouvé ce matin.
– Genre ?
– Genre ce matin… tôt, répond Punch, agacé.
– Merde.
– Hum. l’était jeune nan ?
– Bah ouais quand même, ‘fin par rapport à nous…
– Hum.
– 22.
– Hum ? Commoi.
– Quoi ?
– Commeuh hmoi.
– Ha ha ha ha, tu tiens pas l’alcool toi en fait ?
– Hum… nan, moins.
– …
– …
– …
– …
– Il a laissé une lettre.
– Il parle de nous ?
– Ouais. C’est pour vous.
– Merde…
– Ouais.
– Bon cette tournée c’est pour moi.
Punch déplit la lettre qu’il avait glissé
dans sa vieille veste délavée. Il tremble
un peu ; plus du fait de l’alcool que de
l’émotion d’ailleurs.
– Voilà, il dit ça :
» Mes amis, mes amours,
c’était pour moi ce soir le dernier crépuscule
– oui je sais, je vous emmerde avec ma poésie –
et je compte bien encore vous emmerder longtemps.
Je pars ce soir, je ne vais pas très loin,
quelques centimètres au-dessus du sol, pas
besoin de valise. J’ai juste mis ma veste noire
et dans une poche, tous les messages qu’on
s’était juré de dire au bon dieu, quand on le
verra. Vous voyez, c’est pas parceque vous êtes
les plus anciens que vous avez la priorité sur
l’enguelade céleste !
C’est vrai, c’est déguelasse, j’aurais pu vous
prévenir, qu’on parte ensemble ou que vous me
dissuadiez. Mais là, c’était plus possible. Je
sais que vous me comprendrez, peut-être pas au
début, mais après vous me comprendrez. J’ai
glissé dans l’enveloppe, un billet de 50, vous
avez qu’à vous payer ma dernière tournée, moi…
j’arrête de boire.
Je reviendrai de temps en temps vous savez,
vous inquiétez pas ! Je dis ses quatre vérités
au vieux barbu, je m’installe dans l’hôtel
Paradis avec les masseuses et les bonnes soeurs
et je redescends voir si vous riez encore aussi
fort. Et y’a intérêt ! Tiens, et puis Punch,
je sais que tu t’occuperas de ce que je laisse
derrière moi, en dessous de moi, plus exactement,
alors je voudrais que tu parles au con du curé
qui va vouloir m’enterrer. Tu lui diras que
j’aimais Brel, que j’irai plus vite botter les
fesses du bon dieu si la voix de mon chanteur
me pousse. « J’veux qu’on rit, j’veux qu’on danse ».
Je sais que j’étais le plus jeune d’entre vous
et que quelque part, c’est un peu prétencieux
de vous donner un conseil, surtout maintenant
mais voilà : raccrochez, lachez votre verre,
tant pis pour la vaisselle cassée, tant pis pour
les beaux yeux du patron. Deux choses m’ont
amené à crever : l’alcool et ma belle.
Ah oui, à ce sujet, le lui dites rien, surtout
ne lui reprochez rien, je l’ai suffisamment
emmerdé de mon vivant pour qu’elle mérite bien
qu’on lui foute un peu la paix. Et si elle
revient vous voir au bistrot, consolez-là comme
ça : un de perdu, dix de retrouvés. »
Et c’est signé Iggy Chips.
Tiens, v’la 50 euros patron. Fais jicler la mousse.
– ça marche.
– Il a jamais perdu l’humour ce p’tit con d’Iggy.
– Nan.
– Hum… moi j’arrête.
– T’arrêtes quoi ? De où t’arrêtes ? Tu vas pas
refuser la tournée d’un mort ?
– Hum. La dernière alors.
– Quel con.
– A ta santé, Iggy.
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