A la maison de repos 28092005

Cette semaine-là on m’avait collé en maison de repos
c’est comme ça que j’appelle les semaines où on me
demande de garder une de ces énormes barraques à la campagne
quand les proprios se barrent en congès.

C’était par un soir tranquille, pleine lune
la nuit un peu fraîche, presque aussi clair
qu’en plein jour quand je suis défoncé.

Je fumais ma clope pénard, après un repas à base de vin rouge
et je traînais dans le jardin pour je ne sais quelle raison
foireuse.

Une lubie ou peut-être un signe des étoiles,
me voilà à gambader dans le petit bois près de l’étang
derrière la propriété quand soudain un putain de frisson
me parcourt l’échine. J’en crois pas mes yeux.
Moi qui suit plutôt cartésien à ne croire ni en dieu
ni au paradis ni à toute forme de mystique pour aliénés
me voilà confronté à un mètre soixante-dix de nuisette blanche
réhaussé d’une tête coiffée à l’arrache.
En plein bois, bon dieu, tu peux me croire
j’ai bien failli me pisser dessus.

Cette chose, cet être ou dieu sait quoi
restait immobile à moins de cinq mètres de moi.
J’avais certes pas l’esprit bien éveillé
mais je peux jurer que ce truc était devant moi.
Je titube encore d’un pas en avant
en plissant les yeux, j’essaie de fixer l’objectif sur la nuisette.
C’était plus vraissemblable que n’importe quel téléfilm allemand.

A ce moment précis je me rappelle de la consigne du proprio :
« si un intrus fait irruption dans le domaine, j’ai une carabine
vingt-deux long rifle à l’étage, sers t-en pour l’effrayer
ou tue-le.

Là, j’avoue n’avoir pas eu trop de sang-froid.
Tout brûlant d’ivresse que j’étais, mon sang n’a fait qu’un tour
avant que je ne me retrouve à la porte d’entrée
après une course effreinée.
Même pas le temps de me retourner, voir si la chose m’a suivi
je ferme à double-tour et je file à l’étage chercher l’engin de mort.
Je charge, et je repense à cette phrase d’un de mes vieux :
« si un moineau te fait chier, un flingue est ton meilleur ami »

En restant à l’étage, je cours à la fenêtre donnant sur le bois
et cette fois j’ai bien cru que mon coeur s’arrêtait.
La nuisette remplie de chair blanche comme le lait
se trouvait à l’orée du bois et pour la première fois
je pouvais voir son regard à travers la chevelure brune.
Cette femme, cette ahurie ou ce fantôme ou dieu-sait-quoi
me regardait sans la moindre expression.

J’ai jamais tué un homme, ni une femme d’ailleurs
et j’avais foutrement pas l’envie de le faire
même si l’idée m’avait déjà effleuré l’esprit.
Là je me dis : « hé mec, les portes sont fermées
tu n’as qu’à descendre, te flanquer devant la télé
et boire quelques autres bières avec le flingue à portée.
Les dingues ont plus que moi des raisons d’errer
et c’est pas un crime que de chercher sa route. »

Je descends donc l’escalier, laissant la Chose à ses divagations
et je passe dans le grand salon, le flingue sous le bras.
J’avais même pas pris le temps de me déshabiller. Sous ma robe
de chambre, mes trois pulls et mes deux jeans tout droit sortis
des placards de la barraque, je suais froid.

Quand je suis arrivé dans le salon, en allumant les spots
– tu vas me dire, c’était prévisible. Dans un film ça le serait
mais quand ça t’arrive, tu n’espères qu’une chose c’est que tu
sois pas dans un film –
la nuisette blanche et sa face de déterrée se trouvaient
près de la petite table, debout, entre les fauteuils.
J’ai donc décidé de faire demi-tour et d’aller me chercher
quelques bières à la cave, pour deux raisons :
premièrement j’avais soif
et deuxièmement j’arrivais plus à parler.

Etrangement, la cave n’était pas chargée en phénomènes étranges.
Les packs n’avaient pas bougé, presque complets
comme convenu dans l’accord signé avec les proprios.
J’en bois une sur place en deux gorgées et j’en emporte quatre
avec moi, direction salon, au cas où la Chose aurait soif.

Comme je dis souvent : « on peut jamais discuter sérieusement
sans avoir bu au préalable sa dose d’ivresse ».
Le Truc-Femme-en-nuisette n’avait pas bougé d’un poil.
ça m’arrangeait bien, l’effet de stupeur était passé
et je finissais par m’habituer à sa présence singulière.

Je pose les canettes sur la petite table
sans trop la regarder, en baissant les yeux
et c’est comme ça que je remarque ses pieds
d’un blanc nacré, pur, et surtout vierges de toute la boue du bois.

La gorge nouée, à moins de deux mètres de cette créature
j’essaie de lui proposer une bière, sans réponse.
Le silence m’a toujours fait paniquer, mais moins que ma connerie :
j’avais troqué le flingue dans la cave contre les quatre binouzes.

Me voilà donc seul face à cette créature venue d’outretombe.
ça méritait bien une autre bière cul-sec.
J’allume la télé, en essayant d’oublier la présence statique
de la femme en blanc et j’ouvre une autre bière.
Assis dans le fauteuil en cuir, j’ai jamais autant été vissé à l’écran
d’une machine à images.

Rien à faire, les quatre bières vidées, la nuisette n’avait pas bougé.
Debout, dans le salon, et pas un muscle en tétanie
rien que pour ça, je lui aurais donné une médaille d’honneur.
A vrai dire, elle commençait à me plaire.

Sous l’effet de l’alcool, ou de l’attirance
je commençais à la reluquer sous tous les angles.
Sous cette nuisette, il devait bien y avoir un corps nu
et de jolies formes à en croire l’arrondi
des cuisses et de la poitrine.

Bon dieu, je vous pose la question
si vous aviez eu en face de vous ce genre de mirage
vous auriez fait quoi ?
Je lui ai juste dit « on baise ? »
et elle a souri.

Ce fut ma plus belle nuit en maison de repos.

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