A la Bukowski 02102005

Et ça toque à la porte.

– Yoh !
– Salut mec.
– Putain, t’en tires une tête.
– J’suis crevé.
– Y’a sûrement pas que toi qui est crevé.
– Hum ?
– Y’a pas un rat crevé qui traîne sous ton lit ?
C’t’une infection ici. T’es pas sorti depuis quand ?
– Ouais, ouais.

Pendant que je m’affale dans le fauteuil, le type ouvre la fenêtre.
Il libère la fumée des clopes, de l’encens, et ramasse les cadavres
des bières de la veille.

– Tu devrais sortir, voir du monde, tu sais, t’aérer quoi.
– Et toi ça va ?
– Pas mal, ouais. J’peux essayer ta gratte ?
– Fais comme chez toi, j’crois que tu as déjà compris le système.

Il branche, monte le son et fait péter des riffs venus droit de l’enfer.
C’est sûrement pour ça que ce type est vraiment un ami.
Je vibre en cadence, les cendres s’éparpillent sur ma veste.

– Tu sais quoi, je crois que tu as besoin de compagnie.
– T’es là, nan ?
– Je pensais plutôt à une fille.
– Parle pas de malheur, mec.
– Je peux pas rester là, mais je m’occupe de ça.
– Hé ?!

Pas le temps de tourner la tête, ou de lui arracher un bras.
Le voilà parti, laissant la Squier sur un accord de do.
Je me colle à la lumière extérieure
je manque de dégringoler de trois étages en heurtant le garde-fou.
Ce salaud n’avait pas fermé la fenêtre.

Toc toc toc. Un étage plus bas. Le guitariste des enfers toque à une autre
porte.

– Bonjour.
– Yoh, tu fais quoi ?
– Rien, je finissais un job pour un magazine…
– Ouais, tu es seule ?
– Bah oui. Tu vas bien ?
– Ouais, moi ouais. Tu te souviens de ton voisin du dessus ?
– Hum.. le louche ?
– Ouais c’est ça.
– Donc ?
– Il a besoin de « compagnie ».
– Et alors ?
– Bah tu es de bonne compagnie.
– Tu me demandes d’aller voir ce mec ?
– Tout juste.
– N’y pense même pas.
– Allez, il est pas méchant.
– Il me regarde bizarre.
– ça fait un moment qu’il a pas…
– Oublie ça je te dis, il me fait peur ce malade.
– Si on peut plus compter sur la famille…
– ça veut dire quoi ça ?
– Non, rien oublie. J’ai des trucs à faire. Si tu as encore un peu
d’humanité, passe le voir. Et appelle-moi si ça va pas.
– Salut.
– Prends soin de toi.

Tiens, il pleut.
J’ouvre les rideaux, j’émerge en plein après-midi de septembre.
Bordel de dieu, la journée est à crever sur place.
Plus rien dans le frigo, une soif à réveiller les morts,
j’envisage une sortie.
Douche rapide, quelques vêtements à me coller sur la peau
va falloir affronter tout ce peuple en plus du sale temps.
ça promet.

Toc, toc.
Putain on peut plus s’entendre gémir ici. C’est ouvert.
Elle entre, se colle sur le pas de la porte en fait.
– Tiens.. tu es la soeur de…
– Ouais.
– Bah entre. Ou sors, mais reste pas là, tu fais courant d’air.
– Il paraît que tu veux voir du monde ?
– Du monde en petite dose alors.
– Je te dérange ?
– J’allais me branler, mais à part ça non.
– …
– D’accord, tu me déranges pas, tu veux boire quelque chose ?
– T’as quoi ?
– De l’eau, du café et… ça te dirait pas d’aller dans un bistrot ?
– Il pleut.
– Ouais.. y’a un bistrot à cinquante mètres.
– Ah.. tu veux vraiment aller dans ce trou à rats ?
– Ouais, plutôt deux fois qu’une.
– ça marche, c’est toi qui paie.
– Entendu. Je passe te prendre dans dix minutes.
– J’suis prête.
– Tu joues de la guitare ?
– un peu.
– J’aime pas voir la Squier agoniser sur un accord de do.
Fais la rire, ou fais la pleurer, mais occupe-la. J’en ai pas pour
longtemps.

Je glisse jusqu’au placard de bain, arrachant quelques vêtements
à la pendrie sur la route.
Et la voilà qui s’illustre à la guitare presque aussi bien que son
frère. C’est de famille, c’est dans les gènes, je vois que ça.

Cette gamine a un tempérament de furie. Elle décroche des sons
qui viennent du paradis, ça coule de source.
Je sors de la salle de bain en grognant.

– Prêt ?
– Prête ?
– Elle me plait ta guitare.
– Evidemment. Elle n’attendait que toi.
– J’t’ai piqué une clope.
– Elles n’attendaient que toi.
– Y’a un mort ici ou c’est juste toi qui pue ?
– Faut que j’y réfléchisse.

Dans la rue, les passants s’interrogent.
Il n’y a guère qu’aux laids génies
que la compagnie de belles plantes est tolérée.
Mais ce « clodo » n’a rien d’un génie.. à quoi reconnait-on un génie ?

– T’as pas de petit copain ?
– T’occupes.
– Une clope ?
– Non ça va, économise.
– Et sinon, ça te dérange pas de marcher à côté de moi devant des gens ?
– Si, mais j’essaie d’oublier.

B’soir patron, deux bières.
On a besoin d’s’oublier par ici.
Peut-être même qu’on arrivera à se plaire tous les deux tu crois pas ?
– Qui sait, après quelques bières.
– Je savais qu’on allait s’entendre.

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