Depuis plusieurs semaines, je déménage régulièrement.
Entendons-nous : je vis dans le métro.
Tantôt à la gare tantôt à Eurotéléport
j’ai une belle vue sur les entrailles du Nous citadin.
Les flux n’ont plus de secret à enterrer
l’humanité m’a choisi sans trop le vouloir
pour confier sa sale gueule du lundi matin
sa tension intestinale du mercredi midi
et le vendredi soir, sa plaisante détente.
J’observe tout ça, d’une rame à l’autre
du matin au soir, anonyme, invisible.
Un veston sur le dos, un sac sur le dos
toute ma vie dans leurs poches en acrylique
même un baladeur aux oreilles à l’occasion.
Depuis plusieurs semaines, je trouve les héros
de ma vie par correspondance, adossés aux parois
du serpent mécanique qui transperse les frontières invisibles
du monde d’au-dessus.
Un type, propre sur lui, un peu petit, un peu dans sa bulle
prend le métro de 7h34, là où je me réveille
une enveloppe en kraft dans la main
qu’il ouvre une fois dans la rame
rituel immuable, il lit, sourit, s’intéresse, fronce les sourcils
tourne les pages agraffées, revient à la précédente
en anglais, parfois en français, parfois en espagnol
il remet le dossier, les photos dans l’enveloppe
et sort, il a tout consulté le temps de cinq stations
il quitte la caverne pour le monde des idées.
Je l’appelle Jack.
Jack porte un veston, un sac à dos
trois pulls, et de vieilles chaussures en cuir
regard vide.
Je l’observe souvent, dans le reflet de la vitre
il sait que je le regarde, ça semble satisfaire son ego,
consolider son personnage fragile.
Et puis une nuit, je crois, il fait toujours nuit en bas
il m’a dévisagé, m’a souri, et m’a laissé sortir de la rame
à la station où j’ai coutume de me ravitailler.
Jack est un mec sympa.
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