Décembre, s’affalant sur la ville,
plongeait les errants dans une torpeur glacée
et dans les souterrains et dans les auberges.
J’étais parmi eux, à suivre un itinéraire mécanique
du lit au lieu de travail, sans alternative pour le mystère.
Je ne saurais pas dire si c’est un bruit
ou le souffle de son passage à côté de moi
qui m’a fait relever la tête très haut
et entrevoir une silhouette familière
dont j’avais fait le deuil deux ans plus tôt
à l’occasion d’un mémoire de maîtrise.
Dans un grand manteau rouge délavé
sous lequel on distingait un costume de marque
parsemé de gouttelettes de peinture vive
ce métisse, véritable athlète, imposant
marchait à grands pas vers la lumière
celle qui le ferait quitter Republique – Beaux-Arts
et le conduirait aux vielles rues pavées des galeries.
Il me dépassait donc, sans que je ne puisse
dire le moindre mot.
Bon dieu, il faut tout de suite en informer les médias
puisqu’Elvis n’est pas mort, je vous assure
on pourrait aussi se dire que lui non plus n’est pas mort
J’ai Basquiat devant les yeux, de dos certes
Jean-Michel Basquiat, météor des 80’s new-yorkais
Je suis sur l’affaire, tout le monde l’aurait déjà oublié
ah… le météor, il a flambé jusque dans les mémoires
pas possible…
Des dreadlocks en bataille maintenues, comme Basquiat
par un ruban aux motifs africains enserrant son front, comme Basquiat
des mains fines et longues, comme Basquiat et…
une toute petite toile à peindre de mauvaise qualité
dans la main gauche.
Ah. Perplexe, je presse le pas
il marche vite le bougre. Et d’un pas sautillant
je rompts avec mon itinéraire coutumier
la poursuite me mène jusque sur la grand’place
je suis à sa portée, je peux voir cette toile
elle est peinte.
Elle est peinte. ça c’est une évidence.
Je m’arrête. Le temps que je referme ma bouche
que je cherche à savoir où je suis, que mon
souffle, à la peine, me rattrape, que j’allume une clope,
Basquiat s’était dissipé dans la foule.
J’observais, à quelques centimètres, déboussolé,
la fontaine de la grand’place
et plus précisément un couple d’amoureux enlassé
sur son rebord.
Bon, je me suis trompé, n’alertez pas les médias en fait.
Merde. Comment peut-on peindre tel déchet
et être le meilleur sosie de Basquiat de tous les temps ?
Sur la toile, en pseudo-coton-acrylique-à-gros-grain
quelques lignes d’acrylique de décoration, teinte cuivrée
et de vagues essais de couleur. Petit format = échec.
Je gardais au moins de ce mirage
le spectre de Basquiat, et le sourire.
J’étais en retard au boulot.
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