Je dédie ce texte en hommage à JanFyl du Comité TKK. Plus que six vies, mon pote.
Il paraît que des scientifiques de l’université de Tufts, dans le Massachusetts, ont découvert dans leurs laboratoires que lorsqu’on coupait la tête des planaires, elle repoussait en une dizaine de jour. Le plus remarquable est que la mémoire semble repousser également. Ou bien est-elle stockée ailleurs que dans la tête ? J’ai le sentiment de pouvoir me souvenir de tout. Parfois cela demande un certain effort. Parfois il suffit d’une simple évocation, un mot dans une discussion, un son, un parfum.
J’essuie la vaisselle. Debout à côté de l’évier, mon regard se perd dans le mouvement gracile des branches du bouleau sous l’effet de la brise. Il y a quelqu’un qui me parle. Son visage est très près de mon épaule. Il y a quelqu’un qui me parle mais je n’entends pas. Son odeur est agréable. Les feuilles de teinte vert-jaune se balancent au rythme de Svartvit Calypso de Monica Zetterlund. Je pose le verre sec sur la table et je prends une assiette sur l’égouttoir.
Quelqu’un tente d’entrer en contact avec moi. Cette personne agite sa main droite devant mes yeux et sa main gauche tire sur la manche droite de mon maillot de corps. Allons bon, mon maillot de corps est taché. J’ai certainement renversé de la sauce au poivre par mégarde tout à l’heure. Que ce repas fut savoureux ! La viande était excellente comme chaque fois.
Je pose l’assiette sèche sur la table et je prends une poignée de couverts sur l’égouttoir. Est-ce qu’il va pleuvoir ? Je crois que la personne qui était à côté de moi est partie maintenant. Par la fenêtre, j’observe le bouleau, son tronc, ses branches, ses feuilles. Des enfants jouent autour du bouleau. Je pose les couverts un à un en prenant soin de ne pas me couper avec les lames tranchantes des couteaux à viande.
Le chat passe par la fenêtre puis se faufile entre mes jambes pour atteindre sa gamelle. J’aime bien le chat. Il ne miaule plus depuis qu’une voiture l’a percuté. Cela fait déjà trois ans. Je prends une poêle sur l’égouttoir. Elle est encore sale. Je la remets dans l’évier. Je prends une soupière. Je crois que c’est elle qui souhaitait entrer en communication avec moi. Elle est dehors à la fenêtre de dos, entre moi et le bouleau. Elle fume une cigarette en regardant les enfants jouer.
J’aime sa nuque, ses cheveux noir de jais légèrement ondulés et en bataille. J’aime ses épaules étroites et fines comme ses poignets. Je pourrais lui acheter une aigue-marine qu’elle porterait autour du cou. Cela lui plairait, je pense. Je pose la soupière sur la table. Je prends un instant pour me redresser : j’ai mal au dos.
Le reste de la vaisselle pourra bien attendre demain. J’éteins la chaîne hi-fi. Les enfants sont partis. Je ferme la fenêtre et j’éteins la lumière de la cuisine. Quel jour est-il déjà ? Je pense qu’il va pleuvoir.
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