Avec un programme chargé à la résidence, une moyenne de quatre-vingt artistes / chercheurs / étudiants, trois intervenants et un bataillon de chefs cuistots, le temps n’est pas à la contemplation sereine du matin calme. J’ai perdu le compte de mes heures de sommeil et en conséquence – c’était prévisible en même temps… – la traduction n’avance pas très vite.
Je suis à peu près arrivé à 20% de The Low Road, roman de mon camarade D.E. Lucas. Au fur et à mesure, j’améliore mes formulations, le choix des mots est plus instinctif, non seulement parce qu’il s’agit d’un réel exercice de perfectionnement dans les langues anglaise et française, mais j’entre clairement dans l’intimité de l’auteur, sa logique de construction de phrases, ses émotions aussi. Cela induit quelques perturbation dans nos échanges au quotidien : la traduction n’est plus tellement l’objet de notre rapport social, c’est plutôt la psychologie des personnages, et le rapport à l’écriture en soi.
Lucas décrit des paysages et des individus des Etats Unis que je ne connais pas et que je ne peux comprendre que par son point de vue de narrateur. Il ne décrit pas les mentalités, les actions, les objets ni même les paysages de façon scientifique, méticuleuse, précise. Il utilise un langage poétique, flou et en mouvement perpétuel qui est très séduisant du point de vue du lecteur mais qui s’avère être un casse-tête passionnant pour le traducteur que je suis. Mes armes pour défricher le terrain poétique sont la patience, la curiosité et l’empathie. Je ne pense pas être un bon traducteur, honnêtement, à cause de ces trois armes justement. Je suis lent, appliqué et toujours enclin à modifier un paragraphe, au gré des discussions avec les différents relecteurs, sans m’accorder de parti-pris.
Alors en termes plus figurés, je patine, je recule, je recommence et parfois je fais un bon fulgurant de dix pages et je suis très content. La consistance de ce travail est un peu comme un puzzle de cinquante mille pièces représentant un chef d’oeuvre de peinture flamande du XVe siècle (très détaillé tout ça), et qu’on a pas le modèle sous les yeux pour se faire une idée de où-qu’elle-peut-bien-aller-cette-pièce-là-c’est-quand-même-kekchose-à-la-fin. Tu vois le genre ?
Parmi les rencontres heureuses de cet évènement à la résidence auquel j’assiste pour la première fois : la discussion avec trois autres traducteurs, pas moins que ça, dont un couple qui m’a proposé de se pencher sur ma poésie et d’en extraire un texte en anglais ; et une éventuelle publication du-dit texte. Non seulement je suis touché par le geste, mais je suis d’autant plus surpris qu’il s’agit de deux connaissances d’un précédent évènement avec qui j’avais vaguement indiqué l’emplacement de mes bouquins dans la bibliothèque. Il y a donc des gens qui lisent ce que j’écris. Et qui ne sont pas de ma famille. C’est assez émouvant.
J’en rajoute toujours un peu (vous entendez les violons derrière ?), ça fait plus artiste maudit – maudit artiste, et puis ça m’amuse à peu près autant que de penser qu’un jour ces différentes traductions puissent être publiées en France ou ailleurs.
D’ailleurs tant que j’y suis : il y a une sorte de citation anonyme qui circule sur internet en ce moment et ça dit : achetez les oeuvres des artistes vivants, ça leur est utile et puis quand ils sont morts ça coûte plus cher ! Je trouve que l’accroche marketing est plutôt marrante et en plus c’est tellement vrai.
Allez, j’y retourne !
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